Le temps passe vite. Ou non. C’est ce que ressent Steve Guerdat après les deux années de purgatoire que nous venons de traverser. Pour un monde meilleur ? Pas sûr. Mais une chose est sûre, le tenant de la Coupe du monde est toujours aussi fou de son sport, de ses chevaux… et de Bordeaux qu’il retrouvera avec bonheur en février prochain.
En 2020, l’ancien monde s’est pratiquement arrêté à Bordeaux avec votre victoire avec la complicité de Victorio des Frotards… la Coupe du monde a repris ses droits : comment avez-vous vécu ces presque deux années entre parenthèses et sans finale de Coupe du monde ?
Cela a été tellement long que… j’en oublie presque cette année de blackout. J’en ai perdu la notion du temps. Je dis souvent ‘l’année passée’ en parlant de 2020. On oublie que l’apparition de ce virus date de deux ans. C’est incroyable, c’est quelque chose qui nous semble encore nouveau dans notre vie et c’est pourtant déjà tellement vieux. On a un peu perdu notre relation au temps. C’est à la fois long et pas si long que ça car nous nous sommes habitués à cette situation. J’ai l’impression que Bordeaux 2020 a eu lieu l’année dernière en raison de cette année blanche, c’est bizarre.
On parle d’ancien monde, mais avez-vous l’impression que nous vivons dans un nouveau monde ?
Malheureusement… Oui… Je ne veux pas être de ceux qui disent « c’était mieux avant », mais il y a de choses qui me gavent aujourd’hui. Les choses sensées nous apporter des avantages nous apportent autant d’inconvénients. Je pense particulièrement aux réseaux sociaux qui sont devenus une déchetterie publique. Il y a certainement de bonnes choses et des possibilités de développement pour certaines personnes. C’est comme le téléphone, je critique, mais j’en ai un. Mais ces réseaux sociaux amènent tellement de mauvaises choses à un point que l’on n’avait pas connu avant cette crise. On voit de choses apparaître sur ces réseaux, mais les problèmes de fond de millions de gens ne sont pas résolus pour autant.
En ce qui concerne le saut d’obstacles, avez-vous le sentiment que les choses ont changé ou retrouvez-vous la même ambiance, le même environnement, qu’avant la crise du Covid ?
Franchement, c’est la même chose. C’est la même course en avant… on entendait : « on fera moins de concours »… tu parles, « les prix des chevaux vont redevenir normaux »… tu parles, « les chevaux sauteront moins »… tu parles. Non, honnêtement : aucune différence.
La Cop 26 a visiblement livré un accord décevant en novembre : pensez-vous que les sports équestres peuvent apporter leur part à la lutte contre le réchauffement climatique comme, par exemple, limiter les longs déplacements de chevaux en avion et avez-vous le sentiment que notre sport se sent concerné par ce sujet ?
J’ai une vision un peu différente des discours convenus. J’ai l’impression que la génération actuelle montre une certaine arrogance en voulant tout contrôler, tout imposer sans laisser de libre arbitre à l’individu. Le monde, la Terre, la vie sont quelque chose de bien plus vaste que nous humains, dirigeants et citoyens et l’on veut tout contrôler. J’ai l’impression que des gens veulent décider pour nous de tout arrêter, de ne plus progresser et que le monde, tel qu’il est aujourd’hui est bien pour tout le monde. Mais il ne l’est pas, il y a encore beaucoup de personnes qui souffrent. S’il avait été décidé dans les siècles précédents qu’il fallait mettre un terme au progrès parce qu’il mettrait le monde en danger, on ne pourrait pas se parler au téléphone aujourd’hui, on ne se poserait pas la question de prendre un avion ou non pour se rendre à un concours car toutes ces choses-là n’existeraient pas. C’est à chacun de choisir ce qui est bien pour lui et les siens, de décider de prendre un avion ou non, d’aller en vacances plus près de chez soi pour le bien de la planète. Mais ce sont des décisions qui appartiennent à l’individu, qui peut s’informer et qui ne doivent pas être imposées par des vociférations de terreur dans la rue et sur les réseaux sociaux. Il y a eu une époque où l’humanité n’existait pas sur la Terre, il n’y avait que de la glace et s’il n’y avait pas eu de changements, nous ne serions jamais ici. Avons-nous la légitimité de dire que la Terre nous appartient… elle a appartenu aux dinosaures à une époque et peut-être que le règne suivant sera celui d’autres espèces, je n’en sais rien. De quel droit je peux dire aujourd’hui : « je peux profiter des bonnes choses qu’offrent la Terre et cela doit rester ainsi ». J’en ai assez de ces gens qui crient au scandale parce que l’on mange de la viande. Je veux continuer à en manger. Assez de ces gens qui veulent m’empêcher de monter à cheval. Je veux continuer à monter mes chevaux en veillant à leur bien-être. C’est à chacun d’agir en fonction de ce qu’il pense être pour le bien de notre avenir commun, de s’informer mais nous n’avons pas à subir ces injonctions bien-pensantes et terrorisantes.
Revenons au sport. Après sa victoire de Bordeaux, Victorio des Frotards n’a pas arrêté de vous apporter des satisfactions, surtout en 2020, aujourd’hui, la reprise, notamment en Coupe du monde semble un peu plus compliquée : où en est-il actuellement ?
Franchement, il va bien. Il a fait une super Coupe du monde à Lyon, il commet une faute au barrage, mais il est classé. Il a bien sauté à Vérone où il fait un petit 4 points… (blanc)
Pfff, c’est toujours un peu la même chose : quand un cheval engrange les bons résultats, dès qu’il fait un petit 4 points, c’est le drame. Le père de Raphaël Goers (son ancien cavalier), me disait récemment « j’ai de la peine pour toi, ça ne passe plus, que vous arrive-t-il ? » Je lui ai répondu que le cheval était super… et je n’avais pas envie de lui dire que le cheval avait mal sauté à tel ou tel endroit. C’est vrai qu’à Bourg-en-Bresse, il n’était pas bien, il a fait 8 points, ok, il avait mal sauté. Mais pour le reste, il fait 4 points à Chantilly, 4 points ici et là, souvent de ma faute, mais en sautant toujours de façon formidable. Il a tellement gagné que l’on est déçu quand il fait 4 points. Pour plein d’autres chevaux, 4 points, c’est la normalité, mais ils ne gagnent rien à côté et quand ils sont sans-faute, ils sont juste classés. Victorio gagne beaucoup, il a crevé l’écran quand il est apparu à ce niveau-là et du coup, les attentes sont trop élevées.
Est-ce lui que vous monterez à Bordeaux en février ?
Je ne sais pas encore. Il va faire la finale du Top 10 et ensuite, je vais essayer de le préparer pour la finale de la Coupe du monde. Tout dépendra de ce programme et de la forme du moment.
Avez-vous toujours le même amour pour cette Coupe du monde et pour Bordeaux où vous retrouverez un public qui est aussi fan de vous que celui de Genève ?
J’adore Bordeaux et j’adore pratiquement tous les concours en France car c’est un pays de cheval, ce sont des gens de cheval. Je rencontre toujours un énorme engouement, que ce soit à Bordeaux, à La Baule, à Dinard, à Chantilly – des concours magnifiques. Des publics de connaisseurs, de super ambiances. Et Bordeaux, avec toute son histoire, est une des étapes phares de la Coupe du monde. C’est un concours que j’apprécie énormément.
Vous êtes toujours tenant du titre… depuis 2019, et vous êtes l’un des six cavaliers* de l’histoire à détenir trois victoires : êtes-vous spécialement motivé cette année pour devenir le seul à détenir un record de nombre de victoires, soit quatre ?
Franchement, si cela devait arriver, j’en serai hyper fier et extrêmement content, mais ce n’est pas cela qui m’anime. Je n’y pense jamais. Actuellement, je songe plutôt à ma préparation pour Genève, puis pour Londres.
Ensuite je vais faire une pause avant Bâle et Bordeaux, et bien préparer la finale de la Coupe du monde. Voilà à quoi je pense : mettre toutes les chances de mon côté pour essayer de bien faire lors de ces échéances, mais pas pour chercher ce record, vraiment pas. Je pense plutôt : c’est génial d’avoir déjà trois finales de la Coupe du monde à mon actif. L’avoir soulevée trois fois, c’est énorme alors qu’il y a plein d’autres cavaliers qui la méritent et ne l’ont jamais remportée, ou ne l’ont gagnée qu’une seule fois. Trois fois, c’est déjà exceptionnel. En même temps, j’aurais pu en décrocher cinq… le nombre de fois où j’ai perdu au barrage avec un cheval qui était fait pour le barrage. Mais je n’ai aucun regret, je prends les choses comme elles viennent. J’essaye toujours de mettre les chances de mon côté, pour être performant avec mes chevaux dans ce sport que j’adore et non pour chasser les records.
* Steve Guerdat (3) Marcus Ehning (3) Meredith Michaels-Beerbaum (3) Hugo Simon (3) Rodrigo Pessoa (3)... la France ne comptant qu’une seule victoire au total : Dilème de Cèphe et Bruno Broucqsault à Milan en 2004.
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