Après la deuxième médaille française en sports équestres, retour sur la première... Une interview de Stéphane Landois. Une entrevue du lendemain réalisée initialement par R&B Presse pour un média britannique.
La médaille d’argent du concours complet français est truffée de belles histoires. Celle de Karim Laghouag qui décroche sa troisième médaille par équipe en trois olympiades après l’or de Rio de Janeiro et le bronze de Tokyo. Celle de Nicolas Touzaint, le neveu de l’entraineur national Thierry Touzaint, qui participait là à ses septièmes olympiades depuis 2000, 20 ans après sa première médaille d’or d’Athènes. Mais l’histoire la plus émouvante est celle du « rookie » Stéphane Landois qui a menée jusqu’à cette deuxième marche du podium, un cheval, Chaman Dumontceau, pour poursuivre le rêve de sa première cavalière, Thaïs Meheust, victime d’une chute fatale avec ce même cheval, à l’âge de 22 ans, en 2019. Thaïs croyait au destin olympique de son cheval, un rêve que Stéphane Landois a réalisé pour elle et qu’il nous raconte ici.
Comment vous sentez-vous le lendemain d’un tel exploit, une fois la pression retombée ? Fatigué ? Toujours un peu euphorique après cette nuit folle entre médias et célébrations ?
C’est assez particulier, mais je suis évidemment très heureux. C’est le résultat de beaucoup de travail et de nombreux sacrifices. Cette médaille est acquise, nous la possédons pour le restant de notre vie, donc nous sommes forcément très heureux. Fatigué ? Non, pas tellement. Je pense que c’est parce que je suis encore sur un petit nuage. L’euphorie, en revanche, est retombée. L’effervescence autour de cette médaille, l’ambiance et les célébrations au Club France étaient géniales, mais cela retombe doucement.
Arrivez-vous à bien réaliser, à prendre toute la dimension de cette médaille d’argent ?
J’arrive tranquillement à concevoir l’ampleur de cette médaille. Sur le moment, on ne comprend pas trop ; déjà, participer aux Jeux est assez difficile à réaliser. Maintenant, je commence doucement à comprendre que nous détenons cette médaille et l’ampleur que cela va prendre.
Mais plus je vais avancer, plus je vais réaliser son ampleur. Nous savourons déjà, et je pense que savourer, c’est déjà réaliser.
L’histoire de Thaïs et désormais « *Ride For Thaïs » est maintenant connue de toute la France, mais il faudrait la raconter à nouveau pour des lecteurs britanniques ?
Toute la France connaît cette histoire : celle de Chaman Dumontceau, de Thaïs et de ses projets. Pour la rappeler rapidement : Thaïs était la cavalière de Chaman Dumontceau et a été victime d’un accident (mortel, ndlr) avec lui lors des Championnats de France des 7 ans. À la suite de cela, ses parents m’ont proposé de récupérer le cheval. Je le connaissais déjà, car lorsque je travaillais chez Thaïs, je montais parfois Chaman quand il avait 5-6 ans pour l’aider à débuter.
J’ai donc accepté de le reprendre sans aucun objectif précis. Ils me l’ont simplement donné, me proposant d’en faire ce que je voulais : le monter en complet, en CSO, ou même le commercialiser. Tout était possible, il n’y avait aucune pression derrière tout cela.
Je savais que Thaïs croyait beaucoup en ce cheval. Lorsque je l’ai monté, j’ai immédiatement cru en lui aussi. Je comprenais ce que Thaïs avait ressenti sur ce cheval, je le ressentais également. Je savais qu’il était capable de faire de belles choses. Elle avait ce projet de Paris 2024, et je me suis dit que j’allais essayer de le reprendre et de faire de mon mieux pour atteindre cet objectif pour elle.
Avez-vous senti la « présence » de Thaïs au cours de ces trois jours… et depuis ces cinq dernières années ?
Je la ressens quotidiennement lorsque je suis avec ce cheval. Nous ne sommes pas juste un couple, il n’y a pas que Chaman et moi ; une part de Thaïs est là, tous les jours. Cela se ressentait à Paris, d’autant plus que tout le monde, en regardant Chaman, voyait Thaïs, ce qui renforçait sa présence à ce moment-là.
Comment Chaman Dumontceau / Ride For Thaïs a-t-il vécu ces Jeux, notamment le cross ?
Chaman a très bien supporté ces Jeux. Je pense qu’il était lui aussi très fier de représenter la France, de pouvoir briller devant ce public français si nombreux. Il était ému et stressé de voir autant de monde et d’entendre autant de bruit. C’est un cheval très sensible, et cela lui a beaucoup coûté. Il a fait énormément d’efforts pour se gérer. Il a vraiment été formidable pour cela, et a tout donné !
Quelles sont ses principales forces ?
Chaman est un cheval de cross formidable. Cela fait déjà plusieurs saisons qu’il n’y a pas eu le moindre incident sur cette discipline. On peut compter sur lui, il se lance avec détermination et donne tout pour réussir chaque parcours de cross.
Il est aussi très sérieux et ne fait jamais d’erreur en dressage.
Même s’il peut faire de petites fautes en saut d’obstacles, il ne s’effondrera pas. Chaman se donne beaucoup et sait lorsqu’il est en compétition et essaie de donner le meilleur de lui-même à chaque fois.
Qu’est-ce qui est encore améliorable chez lui… pour un titre individuel, par exemple ?
Chaman est déjà à un niveau incroyable. Il a énormément progressé en dressage cette année, mais il reste quelques détails à peaufiner pour gagner quelques points et rejoindre les meilleurs.
En cross, il n’y a pas grand-chose à améliorer ; cela fait déjà plusieurs saisons qu’il est irréprochable dans cette discipline.
En CSO, il peut encore progresser, mais c’est surtout à moi de le monter au mieux, car c’est cela qui fait la différence. Si je le monte parfaitement, il est parfait. Les quelques erreurs à titre individuel viennent de moi et non de lui.
Comment avez-vous trouvé ce cross ?
C’était incroyable, extraordinaire. La foule présente, le public français qui nous soutenait, sont des souvenirs qui resteront gravés à jamais. Techniquement, ce n’était ni le parcours de cross le plus difficile ni le plus long que j’ai pu faire, mais l’émotion, le public qui nous portait, tout cela ajoutait un peu de pression supplémentaire. Nous ne voulions pas décevoir le public français. Malgré tout, ce sont des souvenirs inoubliables, et le cadre était magnifique.
Parlez-nous de l’ambiance sur ce cross, cette foule de 45 000 personnes toutes acquises à l’équipe de France, c’était incroyable ?
Comme je le disais, le public français nous portait et était entièrement derrière nous. Même lorsque nous galopions sur le cross, nous pouvions entendre une ola nous accompagner de chaque côté des allées. Il y avait tellement de monde et tellement de bruit que nous n’entendions même plus notre chrono sonner. C’était une expérience incroyable, du jamais vu pour moi. Avoir un public aussi enthousiaste et nombreux derrière nous, c’était vraiment fantastique.
Avez-vous dû « vous sortir » de cette ambiance, vous mettre dans votre bulle pour faire votre « travail » de cavalier ou vous êtes-vous laissé emporter par la foule ?
Sur le cross, il était assez difficile de rester concentré sur notre travail en raison du bruit ambiant. Ce n’était pas facile de maintenir notre concentration sur le cheval tout en restant focalisé sur ce que nous devions faire. Chaque seconde, chaque foulée, nous avions envie de profiter de l’énergie du public, mais il fallait rester solide et ne pas décevoir.
En revanche, pour les deux autres épreuves, une fois en piste et la cloche ayant retenti, le silence s’installe, et nous sommes seuls avec notre cheval, faisant abstraction de tout ce qui nous entoure. Cela devient beaucoup plus facile à gérer.
Quelle a été le moment d’émotion le plus intense au cours de ces trois jours et de cette dernière nuit ?
Le moment d’émotion le plus intense a été ma sortie de dressage. Cette année, j'ai rencontré des difficultés avec le dressage et m’étais fixé des objectifs assez ambitieux. J’avais vraiment envie de m’améliorer tout au long de l’année. Bien que le cheval se soit beaucoup amélioré cet hiver, je n’ai pas réussi à concrétiser cela lors des reprises de dressage comme je le souhaitais, avec des petites fautes qui gâchaient le travail réalisé. J'avais vraiment envie de montrer l’évolution du cheval et le travail accompli. Réussir cette reprise à ce niveau-là a été extrêmement émouvant.
Cette première épreuve était particulièrement importante pour Thaïs, qui passait beaucoup de temps à travailler le dressage. Je sais qu’elle aurait été très fière de voir son cheval réaliser cette reprise avec fluidité et sans accroc. Lorsque je me suis arrêté et que j'ai compris que la reprise était réussie, l’émotion était immense. Il y avait aussi une grande émotion lorsque j’ai franchi la ligne d’arrivée du jumping et que j’ai appris que nous avions remporté la médaille d’argent. Cependant, à titre individuel, l’émotion à la sortie de mon dressage était particulièrement forte. Pour moi, le dressage était vraiment crucial.
Karim Laghouag a lancé le défi hier en conférence de presse : reprendre l’or aux Anglais à Los Angeles : vous êtes avec lui ?
Oui, Karim nous a lancé ce défi, et je suis forcément à 200 % avec lui. Nous n’étions pas si loin ; nous avons mis un peu de pression aux Anglais à un moment donné, mais nous leur avons aussi laissé un peu de place avec quelques fautes en fin de parcours. Je pense vraiment que nous étions proches de cette médaille d’or et que la France est sur une pente ascendante. Nous avons fait d’énormes progrès en dressage ces dernières années, et nous restons solides en cross. Cependant, nous avons un peu failli en saut d’obstacles, avec trop de fautes qui nous ont coûté cette médaille.
Il faudra peut-être régler quelques petits détails à ce sujet, mais nous savons faire. Nous avons les chevaux qui sautent bien et des cavaliers compétents. Dans quatre ans, nous aurons les moyens d’être très compétitifs et de nous présenter comme de sérieux compétiteurs face à l’équipe de Grande-Bretagne.
Nous avons beaucoup de cavaliers et de chevaux talentueux, et tout le monde a hâte de se remettre au travail pour Los Angeles. Je le serai également, et je vais essayer de me préparer au maximum. À 30 ans, cette médaille d’argent a éveillé en moi un véritable appétit de médailles, et je souhaite en obtenir d’autres et je ferai tout pour avoir un ou plusieurs chevaux compétitifs en 2028.
Et si je n’y parviens pas, j’espère que c’est parce qu’il y aura quelqu’un de meilleur pour représenter la France et aller chercher cette médaille d’or.
Vous n’avez forcément pas pu participer à la cérémonie d’ouverture, l’avez-vous regardée et qu’en avez-vous pensé ?
Je n’étais pas présent physiquement, car le lendemain j’avais l’épreuve de dressage et nous avons préféré maintenir notre concentration pour la compétition. Nous avons regardé le défilé depuis notre canapé, en compagnie de Karim et Nicolas, et Gireg (Le Coz), notre remplaçant, nous a représentés durant le défilé. N’ayant pas pu le voir en intégralité, il est difficile pour moi de me faire un avis complet. Cependant, il semble que l’événement ait été grandiose et qu'il restera gravé dans les mémoires pendant longtemps.
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