Numéro 3 mondial, tout proche du sommet, à quelques points seulement du numéro 1, Henrik von Eckermann. Une pluie de victoires (76 en tout en 2022)! Le Français Julien Épaillard a le vent en poupe. Gagner est dans son ADN. Pourtant, jamais il ne mettra ses chevaux en péril pour une victoire de plus ou pour la tête du classement mondial : la gestion et le bien-être de ses chevaux passent avant tout.
Que vous arrive-t-il en ce moment ? Comment expliquez-vous cette incroyable série de victoires ?
Déjà, avec Caracole et Donatello, j’ai deux chevaux d’exception. On peut être le meilleur cavalier du monde, si on n’a rien à se mettre sous les fesses, on n’est rien ! (rires)
Aujourd’hui, j’ai 45 ans et j’ai fait pas mal d’erreurs dans ma carrière, j’essaie d’apprendre de ces erreurs. Et désormais, ma connaissance des chevaux, de mon sport en général et mon expérience me permettent de limiter mes erreurs dans la gestion au quotidien.
On a l’impression que vous vivez une deuxième carrière après une première carrière pourtant déjà enviable, que vous prenez une nouvelle dimension, un peu comme la joueuse de tennis Caroline Garcia cette année ?
Peut-être, je ne sais pas … en tout cas j’ai toujours eu de grosses ambitions. Mais je n’ai pas toujours eu la possibilité de m’exprimer au très haut niveau, soit pour des raisons commerciales - des chevaux à vendre, soit parce qu’il y avait toujours un petit pépin. Cela étant, j’ai certainement commis des erreurs de gestion qui pourraient expliquer que je n’avais pas percé au très haut niveau. Cela dit, je me maintenais parmi les 80 meilleurs mondiaux depuis une vingtaine d’années, et puis dans les trente premiers depuis une dizaine d’années. J’ai toujours été régulier mais je n’ai jamais eu un cheval de championnat me permettant de rentrer dans le top 10. Maintenant, c’est fait depuis l’année dernière où je fais même partie du top 5.
Mais c’est vrai qu’aujourd’hui j’ai la chance d’avoir un piquet de chevaux et l’expérience qui me permettent de rivaliser avec les meilleurs.
Outre la qualité exceptionnelle de Caracole de la Roque et de Donatello d'Auge notamment, y’a-t-il d’autres « secrets » liés à cette réussite : organisation, préparation mentale, technique d’équitation ?
En préparation mentale, pas du tout. J’ai toujours été solide dans ma tête, j’ai de l’expérience en piste, je n’ai pas besoin de travailler sur ce point. Mais au niveau de l’organisation, de la gestion des programmes de concours et du quotidien des chevaux, il y a eu pas mal d’évolutions de ma part. J’échange beaucoup avec Michel Hécart, j’ai travaillé un peu avec Bertrand de Bélâbre (ancien entraîneur national Junior et Jeunes Cavaliers et coach réputé de, par exemple, Charles-Henri Fermé ou Nicolas Delmotte, ndlr) à l’époque de Quatrin de la Roque avec qui j’avais gagné le Grand Prix Coupe du monde à Bordeaux (2017).
Je travaille depuis longtemps avec mon ami Michel Hécart, avec qui j’échange beaucoup sur le programme et le quotidien des chevaux, sur la façon des les gérer.
Je pense que mon système évolue et avance et j’en apprends tous les jours un peu plus sur les chevaux et c’est ce qui m’intéresse. Mon métier me passionne de plus en plus parce que le cheval nous en apprend tous les jours et c’est ce qui est captivant dans ce métier.
Monter des chevaux déferrés, est-ce une panacée ? En tout cas, quels en sont les avantages ?
C’est un terrain un peu compliqué car je me mets pas mal de personnes à dos. Pourtant, je commence à avoir du recul, car ça fait maintenant trois ans que tous mes chevaux sont déferrés et je me retrouve face à tout un système entre les maréchaux et les vétérinaires, tout le monde n’est pas d’accord. Cela a eu au moins le mérite de mettre un petit coup de pied dans la fourmilière. Je pense que le "déferré" n’est pas une finalité, ce n’est une étape qui va pousser les gens à réfléchir et se dire que peut-être, aujourd’hui, ce n’est pas normal que nos chevaux athlètes pratiquent ce sport avec un bout de ferraille sous les pieds. Il y a éventuellement autre chose à faire, on peut évoluer.
Peut-être que le pieds-nus n’est seulement qu’une étape. Il y a des inconvénients comme sauter sur l’herbe : mais pour cela, nous développons un système de ferrure en plastique. Je travaille avec une Sté bordelaise, nommée Delysis, au développement d’une chaussure pour un cheval de sport.
Nous avons relevé beaucoup d’avantages : on apprend ainsi à encore mieux connaitre nos chevaux, à mieux les observer, à être plus vigilent et depuis trois ans je me rends compte qu’il y a beaucoup moins d’infiltrations pour mes chevaux alors qu’ils sont contrôlés de la même manière par mon vétérinaire.
Je m’y intéresse plus, je les regarde de plus près, je suis moins dans le stéréotype qui consiste à dire que les vétérinaires soignent, les maréchaux ferrent et les cavaliers montent : aujourd’hui je suis plus dans l’optique de considérer mes chevaux dans leur ensemble, en restant bien entouré évidemment car je n’ai pas la science infuse. Les vétérinaires et les maréchaux sont toujours indispensables et mon équipe derrière moi est également importante. C’est devenu mon quotidien : observer mon cheval, ne pas monter dessus bêtement en se disant que chacun fait son métier de son côté. Après tout, c’est moi qui suis tous les jours avec mes chevaux, c’est moi qui les connais le mieux et après j’échange avec les vétérinaires et les maréchaux dans une optique de performance et de bien-être animal. Aujourd’hui c’est ma démarche et j’en apprends encore tous les jours.
D’autres cavaliers vous imitent-ils aujourd’hui ?
J’ai l’impression que cela avance. Le premier à avoir déferré a été le cavalier italien Luca Moneta suivi par Michel Hécart. Et aujourd’hui, c’est vrai que parmi les cavaliers de haut niveau qui ont des résultats, il y a en a beaucoup qui suivent ce mouvement. C’est un petit peu moi qui ai lancé l’idée de regarder le pied de façon un peu différente. Et on voit beaucoup de cavaliers du Top 10 mondial qui courent sans fers : Henrik von Eckermann, Peder Fredricson, Kevin Staut, Simon Delestre, Connor Swail... cela fait au moins six des dix meilleurs mondiaux qui ont certains de leurs chevaux déferrés.
Je pense que de toute façon, le haut niveau est une perpétuelle remise en question, je ne dis pas avoir tout compris, que tous les chevaux doivent être déferrés, je dis juste qu’on doit avancer vers des chaussures beaucoup mieux adaptées aux chevaux que ce que l’on a actuellement.
Vous évoquiez récemment de nouveaux chevaux de votre écurie qui vont arriver sur la scène ? Pouvez-vous nous en dire plus ? Les verrons-nous à Bordeaux ?
Bordeaux est encore un peu loin, c’est difficile de se prononcer maintenant. J’ai la chance d’avoir des personnes qui m’amènent des chevaux d’âge pensant qu’ils ont un potentiel, ensuite je les essaie et vois comment ils évoluent et ensuite je décide si on se lance ou non dans l’aventure.
Donc il y a certains qui resteront, d’autres pas. Aujourd’hui, j’ai cette chance de me voir proposer des chevaux ayant déjà évolué en 2*ou 3* dont les cavaliers n’ont pas l’ouverture pour être invités à de plus gros concours. En général j’essaie de dialoguer avec ces cavaliers et les propriétaires et faire en sorte que le cavalier qui a amené le cheval à ce niveau puisse garder un intérêt dans la suite de la carrière du cheval. L’infrastructure et l’équipe dont je dispose font que je reçois des chevaux très intéressants. Ensuite l’alchimie entre le cheval et moi se fait ou ne se fait pas. Et si je pense que c’est un cheval qui ne passera pas le cap, je n’insiste pas.
J’ai trois chevaux qui viennent de rentrer, et c’est difficile de donner des noms aujourd’hui, ce sont des chevaux que je vais essayer jusque-là fin de l’année et on verra où cela nous mène.
Même si j’ai peut-être un ou deux noms en tête comme Chana de Valeme (SF de 10 ans par Nabab de Rêve, ndlr) qui s’est bien comportée à Oliva, mais nous ne sommes qu’en novembre (au moment de l’interview, ndlr), et il est trop tôt pour dire lesquels je monterai éventuellement à Bordeaux.
Vous nous parlez de trois chevaux qui viennent de rentrer… Mais combien de chevaux montez-vous par jour et que vous avez au travail ?
L’idéal pour moi, c’est d’en avoir six. Avec ce chiffre, je pense qu’on a vraiment le temps de bien faire les choses, de prendre son temps. Je suis énormément en concours, donc j’ai un cavalier et toute une équipe à la maison avec qui je communique beaucoup sur la façon de travailler.
Quelle sera votre cheval de Coupe du monde à Bordeaux ?
Pareil, c’est encore un peu difficile à dire… Je pense qu’après Genève, Caracole aura des vacances, c’est sûr. J’ai fixé son programme jusqu’à Genève, il y peu de chance qu’elle soit à Bordeaux.
Je ne sais pas encore si ce sera Donatello ou de nouveaux chevaux. En tout cas j’engagerai celui que j’estimerai avoir le plus de chances. Bordeaux est un concours que j’aime. J’y ai gagné la Coupe du monde, le Grand Prix du dimanche, c’est en France, c’est une étape emblématique de la Coupe du monde, j’essaierai d’amener les meilleurs chevaux du moment, les plus en forme, à Bordeaux.
Bordeaux est effectivement un concours particulier pour vous, vous y avez beaucoup gagné (en même temps vous avez beaucoup gagné un peu partout), mais en 2017, vous y avez remporté la Coupe du monde et lors de la dernière édition, le Grand Prix du dimanche : que représente ce jumping pour vous ? Est-ce un moment à part dans la saison ?
Bordeaux, c’est plein de souvenirs, j’ai eu la chance de monter à Bordeaux très jeune, à l’époque de Franke Sloothaak* où le jumping se tenait encore dans l’ancien hall. Je n’étais pas encore tout à fait au niveau à cette époque-là. Mais c’est un événement qui appartient à l’histoire du saut d’obstacles français, qui fait partie des concours mythiques. On adore être à Bordeaux avec son atmosphère sympathique, conviviale à l’échelle humaine qui propose à chaque fois du grand sport. Tous les meilleurs cavaliers sont là en général. Et quand on fait un bon Bordeaux, le dimanche soir, la route du retour paraît moins difficile, on est heureux !
* le champion du monde allemand (1994), double vainqueur de la Coupe du monde à Bordeaux en 1998 et 1999 et du Grand Prix du dimanche en 2000 et 2001. Ndlr
Quelle sera votre ambition à Bordeaux ?
Évidemment : faire du mieux possible. Encore une fois, il est difficile de se prononcer quatre mois à l’avance, je ne sais pas quels chevaux je monterai : il peut se passer tellement de choses, des chevaux blessés, des chevaux pas aussi bons qu’on l’espérait, ou, au contraire, des chevaux qui se révèlent. On peut avoir des bonnes et des mauvaises surprises. Je peux me retrouver aussi à pied, avec un cheval blessé, un autre vendu et devoir repartir en "deux étoiles" sur une tournée au sud de l’Europe avec de nouveaux chevaux. Mais c’est vrai qu’en ce moment j’ai deux chevaux très compétitifs et que j’en ai beaucoup d’autres en construction, je devrais donc bien être à Bordeaux.
Et sur la Coupe du monde ?
Je n’avais pas beaucoup d’ambition en Coupe du monde. Ce n’est en tout cas pas un objectif avec Caracole. Pour Donatello, avec Susanna (sa femme… et co-manager de l’écurie, ndlr), nous avons avant tout les Jeux olympiques en tête, et nous ne sommes pas encore sûrs s’il est raisonnable de viser une finale de Coupe du monde. C’est peut-être plus pertinent de faire les Championnats d’Europe mais qui se disputeront sur herbe (à Milan, au contraire des J.O qui sont sur sable, ndlr). Une fois de plus, c’est encore tôt, je n’ai fait qu’une seule étape, je l’ai gagnée… nous allons voir, peut-être trouverai-je le candidat parmi les nouveaux chevaux qui viennent de rentrer. Nous déterminerons ceux qui sont plus aptes à une arène sur sable et peut-être capables de participer à la finale d’Omaha et ceux qui seraient plus à l’aise sur une piste en herbe… Pour l’instant tout cela est encore un peu loin, pour le moment j’ai Madrid (victoire en Coupe du monde) et Genève dans le viseur.
Il ne vous manque plus qu’un grand titre individuel pour mettre une cerise sur le gâteau de toutes ces victoires, quel est celui qui vous fait le plus envie ?
Évidemment, tout le monde est focalisé sur Paris 2024. J’ai couru mon premier Championnat senior cet été à Herning, et j’ai très envie d’aller à Paris avec une équipe forte. C’est dans une vingtaine de mois, mais nous avons tous cela en tête, notamment les cavaliers français qui seront chez eux. Tout le monde essaye de construire ces Jeux, la Fédération, l’entraineur et le staff. Nous sommes tous motivés et focalisés sur l’objectif d’arriver à Paris vraiment prêts, avec des chevaux compétitifs, des cavaliers compétitifs. Bref, une équipe forte dont j’aimerais vraiment faire partie.
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